Adolescence et numérique : retour d’expérience

J’écris ce billet en réponse au billet de Ploum. N’hésitez pas à le lire, il est plutôt intéressant, surtout si vous êtes parents.

ploum.net - De l’utilisation des smartphones et des tablettes chez les adolescents - 2025-04-10

Après lecture, j’ai commencé à répondre au commentaire d’un autre lecteur sur Mastodon, puis je me suis rendu compte que je commençais à beaucoup écrire pour du microblogging, et surtout que ce retour d’expérience pouvait être utile à d’autres personnes.

Mon expérience

Je vais commencer par décrire mon profil rapidement. Mes parents sont plutôt méfiants en général, et nous ont appris à avoir une bonne hygiène de vie. Cette excellente attention s’est néanmoins accompagnée de beaucoup de restrictions, alimentaires par exemple (je n’ai jamais mangé de bonbons), et de l’habitude d’être “pas comme les autres”. Je n’en ai personnellement pas souffert, alors que mon frère cadet un peu plus.

En arrivant au collège j’étais donc réservé mais j’avais déjà un caractère plustôt affirmé. J’ai tendance à m’opposer à la mode, et pendant l’adolescence je n’ai jamais vraiment été tenté de “faire comme tout le monde”, en tous cas sur beaucoup de sujets.

Ayant grandis à la campagne, passant le plus clair de mon enfance dehors, ma première expérience avec le numérique remonte aux vacances avant mon entrée en sixième. J’avais découvert un site qui proposait des défis liés à la série de livres que je lisais à ce moment, Cherub. J’ai donc commencé à utiliser l’ordinateur Windows de mon père, dans son bureau, sur des temps limités (une demi-heure en théorie). C’était déjà une pratique plutôt active de l’informatique, les défis demandant souvent une certaine compréhension de l’outils.

En entrant en sixième, j’ai découvert mon graal : la salle 208 (aussi appelée salle informatique pour les novices). Là, j’ai découvert les jeux vidéos en ligne, la publicité (quelle horreur…) et j’ai commencé à passer beaucoup de temps sur des jeux de gestion de ville. Bien plus que de temps autorisé par mes parents, d’ailleurs. Je sais pas pourquoi, j’adorais ça.

J’étais déjà le geek de l’école. Dès que j’ai découvert Scratch, j’ai commencé à l’utiliser sur mon temps libre. J’ai eu mon premier ordinateur en fin de quatrième, un raspberry pi : c’était pas cher, et je pouvais installer Linux et bricoler dessus. D’ailleurs, je l’ai réinstallé au moins un vingtaine de fois, en différentes versions.

J’ai eu accès à un téléphone à partir de la quatrième, mais c’était un téléphone partagé avec mon frère et réservé aux moments ou nous sortions de la maison. Le but était principalement de faciliter la vie à mon frère qui aller souvent aider les voisins et se retrouvait avec un agriculteur dans un champs à l’autre bout du village sans pouvoir prévenir mes parents. Je ne l’ai jamais utilisé, puisque pour moi il n’avait aucun intérêt si ce n’était pas un appareil personnel.

Mon parrain m’a offert son vieux téléphone qu’il remplaçait en début de troisième. Première expérience avec un Huawei déjà dépassé à l’époque. Je ne pouvais pas faire énormément de choses en termes de puissance. Je m’en suis surtout servi pour discuter par SMS avec des amis, mais j’ai aussi découvert Twitter, puis Instagram, puis Snapchat progressivement. Je pense pouvoir dire que j’en avais un usage raisonné.

J’ai enfin eu un “vrai” téléphone pour mon anniversaire en fin de troisième, un Fairphone 3 que j’avais choisi. Je l’ai encore, d’ailleurs (bon j’ai retiré Google Android et mis /e/ OS dès la 1.0 à la place, ça tourne bien mieux depuis). Mes usages se sont élargis avec le temps, mais je m’en sers encore principalement pour discuter avec des amis et pour lire les actualités. Ce sont ses usages principaux. Il y en a d’autres, j’en ai d’ailleurs fait l’analyse dans cet article.

Quels usages pour mon téléphone ?

Mon frère cadet a donc eu un téléphone avant moi, et je ne pense pas qu’il ait eu beaucoup d’effets négatifs pour lui. Il faut dire que c’est un agriculteur dans l’âme, que ses amis le sont aussis, et qu’il passait la majeure partie de son temps dehors. Je ne dirais pas qu’il en fait bon usage, mais s’il devait utiliser un dumb phone du jours au lendemain, je pense que ça se passerait plutôt bien.

À Noël dernier, c’est ma soeur de 14 ans qui a eu droit à son premiers téléphone. En réalité elle utilisait déjà le mien (le Huawei, je sais pas comment elle faisait) en cachette depuis un moment, mais le téléphone ne pouvait même pas ouvrir le play store, et les applications que j’avais laissées n’étaient pas passionantes. Mes parents m’ont consulté pour lui trouver un téléphone abordable mais de qualité.

https://e.foundation/e-os/

J’ai donc pris la liste des téléphones compatibles /e/ OS, trié par ordre de sortie, filtré pour que ça rentre dans le budget et hop, One Plus Nord (première édition). C’est d’ailleurs en réinstallant le système que je me suis rendu compte à quel point les téléphones évoluent peu ces dernières années. Avec /e/ OS, le système fonctionne très bein, elle n’a pas de pubs, les traqueurs sont largement bloqués…

Elle a l’interdiction d’installer une application de réseau social sans en parler à mes parents. Me souvenant de ma faible propension à respecter les interdits parentaux (surtout pour le numérique), je lui ai demandé de m’en parler avant si jamais elle souhaite le faire. Et on discute de temps en temps des réseaux sociaux, des traqueurs, de vie privée…

Mes recommendations

J’aurais quelques recommendations à formuler pour les parents, basées notamment sur mon expérience. Bien évidemment, elles sont liées à mon expérience, à mon cadre familial aussi, et ne seront pas adaptées à tout le monde.

Je pense sincèrement qu’un smartphone n’est pas nécessaire avant d’entrer au lycée. Àprès, ça devient compliqué de faire sans, mais je pense que j’aurais largement pu m’en passer jusqu’à la fin du collège.

Par contre, il faut prendre en compte que l’utilisation principale que je vois et dont je me souviens du smartphone, c’est de communiquer. On s’en servait majoritairement pour discuter entre nous quand nous n’étions pas au collège. Et malheureusement, ne pas pouvoir communiquer de cette manière, ça exclut beaucoup.

Ne pensez pas qu’un dumb phone à clapet peut être un bon compromis. Pensez qu’on parle du collège ! Si ne pas avoir de smartphone est une contrainte parentale, venir avec un téléphone à clapet, c’est la honte absolue !

Surtout, jouez à fond la carte de l’éducation. Donc commencez par vous éduquer vous-même, et sérieusement. Sachez précisément quels sont les risques, quels sont les enjeux, quelles sont les bonnes pratiques. Comprenez que dans la plupart des cas ce n’est pas le téléphone le problème, mais les plateformes que vos enfants y utilisent.

Échanger des messages dans un groupe ou partager des photos avec ses amis c’est cool… sauf si elles sont captées par un groupe multinational qui les utilise pour constituer un dossier comportemental sur votre ado. Donc faire ça sur Signal c’est cool, le faire sur Snapchat beaucoup moins.

Tout ça pour vous conseiller de savoir (et d’expliquer) précisément pour quels problèmes vous limitez les usages de vos ados. Est-ce les problèmes d’attention ? Le partage d’informations / photos privées ? Les pervers en ligne ? Le harcèlement sur les réseaux ? Les mécanismes d’addiction des plateformes et leurs conséquences ?

Partagez vos inquiétudes, mais précisément. Dire que “ton téléphone est mauvais pour toi”, “ça ne te fait pas du bien”, “c’est pour ton bien” n’a aucun sens. Ça ne nous touche pas, à nos yeux vous ne nous comprenez pas. Alors soyez précis dans ce que vous reprochez à nos téléphones (ou, généralement, à certaines applis). Discutez-en, même si par la suite vous imposez ou restreignez. Et discutez-en encore après.

Veillez à essayer de comprendre les problématiques de votre ado. On a eu quelques séances de préventions sur certains de ces sujets au collège, c’est impressionant à quel point elles sont décalées par rapport à la réalité des usages, et à quel point on n’arrive pas, en tant qu’ados, à s’y projeter.

Surtout, ne versez jamais dans la condescendance. Vous ne savez pas mieux que votre ado, parce que vous ne vivez pas sa vie et que vous ne l’avez pas vécue. Vous savez d’autres choses que vous voulez partager, vous vous inquiétez pour lui et vous voulez le protéger, mais vous ne savez pas mieux que lui.

Autre registre : si vous souhaitez que votre enfant / ado apprenne à utiliser l’informatique, passez par un ordinateur fixe. Les mobiles, que ce soit tablette ou téléphone, ne permettent pas de comprendre les paradigmes de fonctionnement du numérique puisqu’ils les cachent sous de multiples couches d’abstraction.

À mes yeux, la meilleure solution, c’est un ordinateur sous Linux. Si vous devez acheter du neuf, les raspberry pi et autres nano-ordinateurs sont une bonne solution : ils sont peu chers et permettent de comprendre comment l’ordinateur fonctionne. Si vous avez un vieux, voir très vieil ordinateur, peut-être que Linux fonctionnera dessus, tentez le coup. Même s’il a 20 ans, essayez. C’est l’avantage de Linux.

Pourquoi Linux spécifiquement ? Parce que Windows est un logiciel espion installé directement sur votre OS, qu’il est très lourd, payant, et qu’il vous apprend à utiliser des logiciels propriétaires, notamment la suite Office que Microsoft facturera plus d’une centaine d’euros annuels à votre enfant dès sa sortie de l’université. Et parce que Mac OS ne vous permettra pas de comprendre comment fonctionne un ordinateur.

Linux est un logiciel libre. Il est gratuit, construit par la communauté, et existe dans plein de distributions différentes. Il est plutôt léger, et vous permet de mieux comprendre ce que fait votre ordinateur. Il n’est pas du tout difficile à installer (une vidéo de 10 min devrait suffir, au pire), et s’utilise relativement facilement. On vous mâche moins le travail qu’avec Mac OS, mais c’est précisément le but de comprendre ce qu’on fait. Et il offre un environnement plutôt sécurisé, vous pouvez facilement créer plusieurs utilisateurs pour chacun de vos enfants, etc…

Installez le système, et faites le utiliser par votre enfant / ado dans ses usages quotidiens. Votre enfant / ado saura rapidement se servir d’un ordinateur. Bien mieux que si vous lui donnez un iPad (j’ai toujours pas trouvé à quoi ça sert d’ailleurs). Vaolrisez l’utilisation de logiciels libres comme Libre Office ou Krita (si vous avez un dessinateur en herbe). Préférez Firefox à Chrome.

Pour conclure, j’ai conscience que je suis un jeune adulte, que je n’ai pas d’enfant, et encore moins d’ado à gérer. Je sais que ce n’est pas facile, que le temps manque souvent, qu’il est souvent difficile de discuter (c’est pour ça que je vous engage à ne pas être condescendant), et il y a encore pleins d’autres trucs que je ne sais pas. Ceci est mon expérience, en tant que jeune adulte qui vient de vivre une partie de ce que vit votre ado et qui voit ses petits frères et soeur le vivre en ce moment même. Ni plus, ni moins.

J’espère en tous cas que ce billet vous aura aidé. Si vous avez des questions particulières, contactez-moi, je me ferai un plaisir de vous répondre.